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Lettres au corps

Lettres au corps

Avis aux visiteurs : Cet espace n'est pas figé, il attend votre participation. Le projet est le suivant ; réunir un maximum de lettres ouvertes adressées à votre corps . Ces lettres seront accompagnées d'une photo PRISE PAR VOUS de ce que le thème vous inspire. Votre anonymat sera scrupuleusement respecté . L'idée n'est pas de tomber dans le voyeurisme ou l'incitation à la haine de votre corps. Bien au contraire . La visée de ce projet est d'explorer le rapport au corps à tous les âges, dans toutes les cultures , sous tous ses aspects . Pour toutes informations , questions ou envoyer votre participation : onmyskinproject@gmail.com .


Complexe corporel

Publié par S.R. sur 27 Juin 2014, 13:00pm

Complexe corporel

Il est quelque chose que j'ai toujours eu du mal à accepter dans ma vie, aussi courte soit-elle, et qui ne cesse cependant de me surprendre ; mon corps.

En perpétuel changement, cette enveloppe, plus source de frustration que de satisfaction, est comme un printemps sans appartenance saisonnière. Tantôt hivernal, tantôt estival, il ne sait jamais comment être et vers où aller.

Il n'y a pas si longtemps, j'ai remarqué que mes yeux, originellement noisette, devenaient verts. Un vert profond, presque forestier, cerclé d'un brun foncé et entourant une iris presque jaune. Ils sont devenus plus beaux qu'ils ne l'étaient, et ce n'était pas difficile ; leur couleur me déplaisait au plus haut point, cette couleur que je trouvais terne et non attirante. Leur forme, cela dit, me gêne toujours, entre l'amende et le rond, et surtout très grande.

Mais les yeux ne sont qu'un détail parmi le vaste pays qu'est mon corps, pays que je n'aime pas parcourir du regard. Une vaste steppe creusée et sèche, tâchée de grains de beautés en pagaille et marquée de vieilles signatures de mes démons. Ma peau garde ses cicatrices, les affichant avec pâleur et volume. Elles sont pour moi les tombes d'un souvenir sur la durée, une période de plusieurs années qui ne s'est achevée qu'il n'y a pas une année. Elles me dérangent et me répugnent, mais je les accepte. Plus d'une soixante-dizaine sur le bras droit, une trentaine sur le gauche ; une quinzaine sur le torse, trois dans le dos, trois sur les épaules. Mais elles ne sont rien de plus que l'empreinte de bouches d'un Diable rendu muet, cousues pour l'étouffer. Je les touche parfois, nerveusement, lorsque la peur, l'angoisse ou la rage monte en moi. Elles me rappellent ce que je ne veux plus devenir. Mais mon corps me gêne dans sa généralité, non pas parce qu'il est meurtri, mais tout simplement parce qu'il me déplaît. Perpétuel insatisfait, je me regarde et me dis « Sincèrement, tu es dégueulasse. » Des cheveux sauvages et ternes, un nez légèrement tordu, une petite bouche et un menton court, une corpulence maigrichonne que je n'arrive pas vraiment à changer, un poids plus versatile que le mois de Mars, mais de plus en plus léger. Je n'aime pas mon corps pour son éternel changement, et en même temps pour sa façon de me décevoir d'une prévisibilité permanente. Je sais qu'il ne sera jamais comme je l'aimerais, mais il ne sera jamais comme je l'envisage non plus. Chaque vêtement que je mets semble trop grand, sauf lorsqu'on prend la taille la plus cintrée, la plus petite, et c'est très ennuyant lorsqu'on cherche à s'habiller de temps en temps. Mon gabarit ne me gêne pas, sauf dans ce cas-là.

J'aurais aimé être plus aisément musclé. Pas non plus une masse pure, mais un minimum. Je n'arrive pas à changer, malgré de nombreux efforts, mon corps refuse. Il doit se trouver sympathique comme ça, à ne pas savoir comment être et décider de rester tel quel, laid et non fini. Je suis si fin que je peux passer ma jambe entre les barres du portail de mon lycée. Je rentre mon ventre, et celui-ci peut se faire saisir d'une main.

Ma relation avec mon corps est assez conflictuelle dans l'ensemble. J'ai peur du changement quant à ce qui me concerne physiquement, mais en même temps désirerais qu'il soit plus esthétique. Je ne sais plus vraiment ce que je veux pour lui, ce que je ressens pour lui. Il est devenu le sujet paradoxal de mes envies et mes craintes. Pour l'instant, je dirais qu'il change encore ; je grandis toujours, maigris encore et encore, mais ne m'en rends compte qu'après. Un sentiment partagé fait irruption alors, entre le contentement et la déception. Contentement dû au changement, déception due à son invisibilité. Je l'aimerais plus élancé et ce, plus visiblement. Mais rien que je ne puisse faire ne le fait changer d'apparence, alors je l'abandonne. Je ne prête qu'à peine attention à lui désormais, mais fais en sorte de ne jamais être dénudé sans raison. Je ne me regarde qu'en sortant de la douche, recherchant ce qu'il a de défectueux. Tout, me dis-je, mais mon complexe est plus facial que corporel. Alors, je le laisse évoluer à son rythme pendant que je me plains de ce visage trop vulgairement construit à mon goût. Un brouillon gardé faute de mieux, c'est ainsi que je le vois. Alors je fais en sorte de le cacher, une barbe bien taillée, une moustache longue mais légère, et je charbonne mes yeux pour éviter aux gens de regarder mon nez difforme. Je ne m'aime physiquement pas. Je ne me suis jamais aimé et je doute m'aimer réellement un jour. Mais ça n'est pas important, ce n'est pas mon enveloppe que les gens qui m'entourent aiment, mais mon esprit.
Et celui-là, je compte le garder au point où il en est.

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